La fascination de Paul Morand pour l'Afrique a pour origine un voyage en 1928. Celui-ci lui inspire le recueil de nouvelles Magie noire (1928), troisième volet des Chroniques du XXe siècle, ensemble de quatre oeuvres avec L'Europe galante (1925), Bouddha vivant (1927) et Champions du monde (1930), où il peint successivement l'Europe, l'Asie, l'Afrique et l'Amérique du Nord. Il reviendra sur les noirs dans s.on portrait de la ville de New York (1930), mais envisagés cette fois dans le contexte américain. On y voit clairement se mettre en place l'obsession de l'auteur pour la préservation de la variété raciale du monde humain et s.on annonce apocalyptique du temps des mélanges inévitables et du métissage qu'il réprouve fortement. C'est d'ailleurs dans un autre carnet de voyages, Hiver Caraïbe (1929), qu'il abordera de façon plus profonde la question du métissage tout en prophétisant le crépuscule des nations blanches :
"Il est curieux de voir combien peu de coloniaux sont sensibles aux vertus profondes d'un noir. Les uns les nient, les autres se contentent de dire : ce sont de braves gens. [...] Quant à leur beauté, on n'en parle jamais. C'est une joie constante, pourtant, la plus grande joie du voyage et qui fait oublier la monotonie de ces milliers de kilomètres dans la brousse. Corvées d'eau, de bois, matin et soir ; nègres voyageurs ; danseurs ; ces corps huilés, ces dos satinés par la sueur et qui prennent une patine de haute époque, la largeur des épaules, la cambrure des reins, l'avancée du ventre, les seins des femmes que le portage met en pleine valeur ; la perfection des jambes, la petitesse de la tête. De la mortalité infantile, peut-être, mais presque jamais d'infirmes, de bossus, de mal conformés, comme chez nous. Quelle souplesse de bête, quelle noblesse du repos, des stations, quelle grandeur dans la marche, quelle perfection féline dans la course ! Quand je pense à l'Agérie, aux Arabes, à tous ces peuples emmitouflés dans des serviettes-éponges, dans de vieilles couvertures de lit, comme des serpents, je me dis qu'entre le noir nu de l'Afrique centrale et l'athlète nordique des clubs finlandais ou des universités américaines (sauf quelques beaux Chinois), le monde n'est que médiocrité physique.
[...]
Le noir qui épouse une blanche, me dit G... -- et il y a eu après la guerre pas mal d'exemples de tirailleurs ayant ramené en Afrique des Françaises, -- s'en dégoûte vite et retourne à ses femmes. C'est la blanche qui, presque toujours, court après le noir. La censure a, paraît-il, ouvert des lettres d'amour insensées adressées par des jeunes filles de province à des tirailleurs. Et que dire des Allemandes, lors de l'occupation ! A Toulouse, en 1917, il y aurait eu dix-huit cent métis.
[...]
Ces gens de couleur remplissent les hôtels meublés, les bars, peuplent nos nuits, donnent le ton à nos plaisirs.
[...] certaines femmes de la haute société de Londres sortent de leurs maison lorsque leurs maris sont couchés (ces maris ennemis des races de couleur, et qui, sur ce mépris, ont fondé l'Empire britannique) et se rendent à de petites soirées élégantes et clandestines données en l'honneur des c.oons, des black men."
Paris-Tombouctou, 1928